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Un mardi soir sur terre avec Francis Cabrel

Si la destination poétique des 31èmes Nuits de Champagne trouve son inspiration dans le souffle des guitares, personne ne doutera que Francis Cabrel en est l’étape clé. Le chanteur fait partie de ces quelques rares, entrés dans l’intimité de plusieurs générations de spectateurs. Conquis d’emblée, le public d’Argence, de tous les âges, en témoigne de façon touchante.

"Dans mon rêve, il y avait une guitare : je vous raconte…" D’un bout à l’autre du concert, seul avec elle ou en partage attentionné avec ses musiciens (bassiste, bandonéoniste, ses trois choristes, etc.), il ne la quitte jamais, sa fidèle compagne en bandoulière. Elle est plus, bien plus qu’un instrument : elle l’accompagne depuis ses jeunes années quand il était "le noyé à la branche / accroché au manche" de sa Telecaster.

Le chanteur déploie ce ton, ce phrasé, reconnaissable entre tous, qui préfère souvent au déploiement mélodique une parole scandée, presque proclamée, parfois martelée (avé l’acent !), avec toute la plus-value rythmique qu’il sait en tirer.

Les chansons de saison (Octobre) alternent avec les engagées (pour Nelson Mandela ou sur les migrants, "est-ce que l’Europe est bien gardée ?") et s’entrelacent avec les chansons d’amour : la toute première Petite Marie, ou l’immémoriale Je l’aime à mourir, aussitôt reprise par une partie du public dans un mélange touchant de respect et de discrétion.

Chez Cabrel, simplicité et authenticité font loi. Il ne sert à rien de "sortir ses plus belles lectures", chercher à impressionner ou, pire, de prétendre à ce qu’on est pas. Il ne faut pas dire "à qui je ressemble / Faut dire qui je suis."

C’est en effet quand le spectacle prend la tournure d’une confidence autobiographique qu’il touche le plus, tandis que notre chanteur relate ses premières années de galère, lorsqu’il a quitté son sud-ouest natal pour l’inhospitalière capitale, "où y a même pas d’abeilles sur les pots de confiture / Y a même pas d’oiseaux, même pas la nature".

Mais c’est avec Je t’aimais, je t’aime et je t’aimerai que se fait soudain l’alchimie la plus inattendue. Du fond de la salle, comme d’une clameur portée par cent personnes, de puissants "ouh ouh ouh" sont montés d’un coup et ont offert leur chaleureux soutien mélodique à l’artiste, émerveillé. "L’amour est partout où tu regardes / Dans les moindres recoins de l’espace / Dans les moindres rêves où tu t’attardes." Selon l’enquête en cours, on subodore que des choristes du Grand chœur n’auraient pas pu résister à la tentation… pour le saisissant plaisir de tous.

On ne s’attendait plus à rien, après trois rappels et moult saluts, quand le folk singer a repris généreusement la guitare (toujours !), seul (difficile de ne pas voir passer l’ombre de Bob Dylan !), dans un soir sur terre qui ne voulait pas finir. C’est comme ça quand on est "tous tendus vers l’espoir de vivre".

Thibaut Gobry