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Maxime Le Forestier, « Paraître ou ne pas être »

« Je fais des chansons dont le point commun est d’avoir été écrites dans la même période. Et, pour ce qui est des chansons de cet album, dans le même lieu. » Car, de l’autre côté du mur de la maison de Maxime Le Forestier, dans le sud de Paris, on construisait un immeuble. Il est donc parti à la campagne.

Un thème, un concept, une direction ? « Je n’ai pas de feuille de route », assure-t-il. Seul principe : « Quand je chante, je n’écris pas ; quand j’écris, je ne chante pas. Il me faut à peu près un an et demi pour écrire un album, deux ans de tournée et au moins une année pour glander. » Voici donc, presque six ans après Le Cadeau, une dizaine de nouveaux titres poétiques, réalistes ou ironiques – une moisson riche et limpide, avec son élégance coutumière et sa chaleur consolante.
Le titre de l’album est tiré d’un obsédant refrain : « Paraître ou ne pas être / Ouh la la la question que voilà / Paraître ou ne pas être / La question fait débat ». Interrogation terriblement contemporaine mais question que, pour sa part, il avoue avoir plus ou moins résolue depuis longtemps : « L’homme est un animal qui vit en compagnie ou en troupeau. Il ne lui est pas possible d’être seul. Mais qu’est-il prêt à sacrifier pour paraitre ? Pour moi la question s’est toujours posée comme ça : que suis-je prêt à montrer ? »

Longtemps avant Instagram et les like, il avait donné sa propre réponse : « J’ai été connu très jeune et j’ai fait assez vite le tour de la situation de vedette. » Il a dynamité son statut de « chanteur engagé » des seventies, négocié pas mal de virages et mené quelques aventures qui ne s’intéressaient pas à sa seule gloire (presque cinq ans à chanter l’intégrale de Georges Brassens, par exemple).
Et, peu à peu, sans trop en parler, il a émondé, simplifié, espacé, resserré. On attend peut-être un peu plus qu’avant ses nouvelles chansons, peut-être parce que c’est plus difficile à chaque fois : « Nous nous sommes beaucoup téléphoné sur ce thème, Alain Souchon et moi. La peur des redites, des rimes souvent employées, le fait que la barre est haute… »

Il a toujours été doué pour faire traverser les brumes par un rayon de soleil. Ainsi s’amuse-t-il au mystère des Filles amoureuses : « C’est pas un jugement / C’est pas une critique / Quand j’vois deux amants / J’trouve ça sympathique / Mais malheureusement / Il arrive aussi / Que j’pense en voyant / Certains cas précis / Les filles tombent amoureuses de n’importe qui ».
Il s’est demandé si une histoire d’amour l’avait poussée à cela. « Mon fils Arthur a trouvé ce texte sur mon ordinateur et l’a mis en musique » – une sorte de country celtique aux volutes souriantes.
Et, comme à chaque fois depuis belle lurette, Le Forestier démontre l’acuité de son regard sur le monde, de la logorrhée numérique dans Les Ronds dans l’air, sur une musique de Manu Galvin, au désastre écologique dans Ça déborde et au trouble politique français dans La Vieille dame, diffusée sur internet dès son écriture, pendant la campagne présidentielle de 2017…
Des chansons politiques ? « Des chansons sociétales », corrige Le Forestier. Son regard mi-La Bruyère, mi-Cabu lui fait dessiner Le Grand Connard que l’on a tous rencontrés au boulot ou au journal de 20 heures. Cette chanson aurait pu être désespérante : « Le con ne fait pas exprès d’être con ; le connard fait une saloperie et, en plus, un doigt d’honneur en plus. J’ai passé beaucoup de temps sur le dernier couplet. »
Il s’interroge aussi sur l’enfance avec Date limite, avec un texte coécrit avec Bruno Guglielmi, et sur la fugacité insoupçonnée des bonheurs avec Dernier soleil avant l’hiver, que Julien Clerc a mis en musique.

Sur une musique de Manu Galvin, il se souvient du jour où il a acheté sa première guitare, jour dont il ne se doutait pas qu’il changerait sa vie : « C’était une Paul Beuscher à pans coupés avec un manche trop épais. Je ne sais même plus ce qu’elle est devenue. Juste à côté, il y avait un magasin de partitions dans lequel je suis entré avec ma guitare toute neuve et j’ai demandé : « Qu’avez-vous pour voix et guitare ? » On m’a vendu quatre chansons de Brassens et La Mamma. »
L’unité de lieu est respectée sur tout l’album puisque c’est dans la maison de campagne de Le Forestier que Philippe Lafontaine a écrit et composé Mon ruisseau : « Toute ma vie j’ai suivi le méandre / Qu’inconstant dessinait mon ruisseau » – une méditation d’artiste sur sa destinée que Maxime et Arthur chantent ensemble.

Ces dix chansons apparaissent dès maintenant dans une forme très proche de celle qu’elles auront sur scène, avec seulement Manu Galvin et Arthur Le Forestier aux guitares, Sebastian Quezada aux percussions et Étienne Roumanet à la contrebasse. Parfois, quatre chefs de chœurs des Nuits de Champagne sont venus pour des arrangements vocaux de Manu Galvin. La violoniste Fiona Monbet intervient sur Les Filles amoureuses et Paraître est habité par les percussions de Minino Garay et le piano magicien du jazzman et compositeur Baptiste Trotignon. Un réalisateur ? « C’est un peu Jean-Philippe Allard, un peu Manu, un peu moi » – solides complicités bien enracinées avec son manageur et son complice guitariste… Et on entend déjà la vérité des chansons telles qu’elles seront à l’automne prochain, en concert. Pas d’arrangements orgueilleux, pas de grands gestes orchestraux. Pas trop de paraître.