Les Nuits ont la bulle au ventre. Gérard Fardet, instigateur du festival - et l’un de ses principaux administrateurs pendant près de trente ans - s’est éteint en février dernier, laissant derrière lui un héritage dépassant de loin sa casquette d’organisateur : membre du groupe vocal Les Octaves, il fut aussi un prolifique et infatigable metteur en mots et en musique de spectacles à destination du jeune public, appelant à la théâtralité poétique et aux mélodies espiègles ("Pierrot Ficelle", "Le Violon Magique") et dont certains airs hantent toujours les murs des écoles.
Pour rendre hommage à cette légende discrète, le festival des Nuits de Champagne a confié à Lucie, sa fille, le soin d’élaborer une création exclusive issue de l’ouvrage paternel. Projet qu’elle a de son propre aveu accepté « tout de suite, sans hésiter ni prendre conscience de la manière dont cette décision allait conditionner les mois à venir... Parce qu’il a fallu se replonger dans cinquante ans de carrière et autant de documents sonores, audiovisuels ou manuscrits. De plus, comme les chansons de mon père étaient toujours liées à un spectacle ou à un concept, il n’a pas été facile de les en extraire ». Après plusieurs versions, le fil rouge de ce long travail de réinvention s’est fait jour et s’est homogénéisé pour devenir « Bulles de Fardet », le spectacle présenté ce mercredi. A quelques heures des deux représentations prévues, en plein échauffement sur la scène de l’Espace Gérard Philipe, Lucie avoue sans taire son émotion combien cette journée est particulière, même si elle se sent joyeuse. « Ma famille sera là, je serai entourée des musiciens qui ont joué avec mon père... Et j’aurais tant aimé qu’il soit là aussi dans la salle ».
Introduit par une dizaine d’enfants montés sur scène pour entonner le très à-propos « Entrez », puis le « Blues du Blues du Bluesy », deux titres qu’ils ont appris le matin même durant l’atelier chantant, le concert commence avec, on le sent, un cœur qui se serre et que l’étreinte ne relâche guère. L’émotion afflue tout du long de cette collection de vignettes qui revisite en zigzag l’univers de Fardet. Accessoires fétiches, télescopage entre arts visuels et saynètes facétieuses, copains habillant les chansons en jazz, reggae ou rock and roll, tout y est. Même l’incontournable « Dans ma rue » à laquelle le public révèle, en la reprenant, la place qu’elle occupe aujourd’hui encore dans le cœur de plusieurs générations auboises. A l’heure des adieux, c’est la voix de son créateur, depuis le landau de Pierrot Ficelle, qui résonne pour achever d’un clin d’œil à ce qui, davantage qu’un spectacle, était bel et bien une déclaration d’amour. « A Gérard ! » entend-on fuser dans la salle en réponse aux remerciements que Lucie Fardet adresse à tous, avec la promesse que ces chansons continuent leur route bien au-delà du baisser de rideau. Ce qu’assurément elles feront : on ne leur avait jamais dit, mais elles sont désormais immortelles.
Texte : Virgile GAUTHROT
Crédit Photo : José Garandel