Bien des choristes et des spectateurs seront "tombés en amour" de l’artiste québécois durant cette semaine des Nuits, qu’il aura marquée de son empreinte. Conteur dans son spectacle "Un village en 3 dés", chanteur en solo sur scène pour la première fois, maître de cérémonie du Grand choral, Fred Pellerin aura traversé le festival, charmant son monde par son art inégalé du récit, son humour irrésistible, sa puissance poétique et sa gentillesse.
Nous sommes samedi, il est 18h. Il sort à peine de la 2ème représentation avec le Grand chœur. Entretien à brûle-pourpoint.
Tu viens de quitter la scène et le Grand chœur. Comment vit-on un tel moment, de l’intérieur ?
Fred Pellerin : - C’est très très intense de l’intérieur et tu sais, ce serait drôle que tout le monde puisse le vivre. C’est un train immense, un engin, une machine qui pousse qui pousse. 900 personnes qui chantent en chœur, en harmonie, qui disent les mêmes mots en même temps, les mêmes ouh ouh…
Mais toi, tu n’es pas juste spectateur, tu chantes avec eux !
FP : - Mais t’sais, ça te porte, c’est l’effet de cheminée, là. Toi t’es là avec ta p’tite chanson et ça te tire par le haut, parce que les mots, la musique, tout ça prend son ampleur et se développe dans les 900 autres voix qui viennent par derrière ; ça agrandit notre… artisanat !
Tu as senti des différences entre la première, hier, et celle d’aujourd’hui ?
FP : - Hier tout le monde était stressé, on avait tous quelque chose à casser. Aujourd’hui, il y avait déjà une détente ; avant le spectacle, tous les choristes étaient souriants, avaient l’envie d’y retourner. Le mot qui s’passait, c’était : il faut mordre dedans-là. C’était déjà l’avant-dernier, t’sais, c’est rapide !
Dans tes spectacles de conte, tu improvises, on a du mal à te croire…
FP : - Ouais, si !, j’pourrais te montrer…
Ça fait 100 fois que tu le fais et…
FP : - Ah oui c’est ça, mais mon spectacle, ça ressemble à ton plan d’entrevue (= interview). J’ai pas de phrases, c’est des suites d’idées, des charnières, un truc dont il faut que je parle parce qu’il va y avoir un rappel plus tard. C’est sûr, ça fait 120 fois que je le fais, il y a des sentiers, j’ai fini par battre des chemins à force de passer aux mêmes endroits. Mais je change encore des trucs à chaque soir, j’invente des conneries, j’essaie de faire rire mon équipe technique, je joue avec les placiers (= les ouvreurs), qui me donnent des mots, improbables… Je fais ça pour me garder toujours vif. Il n’y a pas de texte qui a précédé le conte, donc s’il y a des trucs qui se figent, c’est vraiment à l’usage.

Comment tu arrives à avoir cet élan de récit, ce rythme, sans rompre le charme ?
FP : - Le public ! le public me donne, et ça crée le rythme. C’est avec ça que je joue. Il m’en r’donne, j’en r’donne, m’en r’donne j’en r’donne… Pis d’ailleurs c’est ce qui me déjoue (= joue des tours) des fois en France parce que vous, vous réagissez pas aux mêmes trucs que chez nous. Moi je lance une connerie pour avoir une réaction, hop, la vague vient pas, parce que vous, y a des trucs qui nous, nous font rire, vous, vous font pas rire ! A l’inverse des fois, vous riez à un endroit où c’est pas drôle.
Quelle est la différence entre les publics français et québécois ?
FP : - L’humour québécois est plus dans l’absurde, dans le côté BD, l’auto-dérision… L’humour français, tu sais l’humour qui grince, l’humour noir, ça, on a moins chez nous. Hier on était à table avec des amis français, et ça s’est mis à tirer, mais t’sais… aaaaah… C’est des rires qui nous font des malaises incroyables. Mais en même temps à force de venir, j’ai compris. Je peux admirer la joute, saisir le jeu, mais j’arrive pas à le sentir viscéralement.
Jeudi soir, tu as chanté à la Madeleine. C’est pas une blague, c’était bien ton premier concert ?
FP : - Ouais. J’ai jamais chanté un concert solo. Jamais.
Mais tu as enregistré le disque cet été…
FP : - Ouais mais j’ai 4 albums ; je chante 5-6 chansons quand je fais des contes, tu as vu. La part de moi qui a envie de chanter est assouvie avec ça. Pis je fais des albums, je chante en studio. Il y a un truc très intime pour moi dans la chanson, y a une affaire qui est presque chuchotée. J’me sens pas comme un chanteur de scène, qui va pousser, la voix… Le conteur que je suis, oui, il fait ça ; mais le chanteur, il est doux, il murmure presque.
Intime…
FP : - C’est ça, très intime. Donc j’fais pas ça sur scène. En studio t’es seul, t’es en dehors du temps, t’as personne qui t’écoute. Après, les gens peuvent t’écouter dans l’intimité, ils s’mettent chez eux dans leur maison. On dirait que le chemin entre chuchoter en studio pis écouter un murmure chez soi, t’sais, ça s’connecte.
Mais alors comment tu t’es senti après cette soirée de concert ?
FP : - Oh bah en fait c’était pas un solo du tout, c’était un trois centono ! Y avait 250 choristes dans la salle qui ont proposé, j’ai ouvert la porte et ça a porté. C’était INCROYABLE, la communion qu’y a eu là !

En effet, ce soir-là, à peine commencée la chanson "Plus tard qu’on pense", le public chante avec toi. Et c’est très précis, très au point…
FP : - Et ouiiii, c’est ça. Parce que tu peux espérer dans ta vie, un jour, avoir un public qui chante, mais là, t’as pas un public qui chante, t’as un PUBLIC CHŒUR. Ça, si tu le prévois, ça va marcher, mais la magie sera pas la même ! Même le dernier rappel, ils voulaient "Retenir le printemps", dont je ne me souvenais même plus des mots ; ça fait au moins deux ans que je l’ai pas jouée. On la trouve ensemble puis oup, ça repart… Ce n’était plus un concert, c’était un échange !
Il y a bientôt 20 ans, tu as choisi d’écrire, tu as eu ce projet. A quoi rêvais-tu ?Pensais-tu que ça se passerait comme ça ?
FP : - Non non non, moi je voulais être prof de littérature.
Mais à un moment, tu as voulu écrire.
FP : - Ah ouais mais… mais si je pouvais jouer dans un petit café, une bibliothèque de temps en temps…, c’était parfait.
Tu n’imaginais pas que ça se passerait comme ça ?
FP : - Non non, moi j’étais pas du tout destiné à une carrière comme ça. J’ai essayé de faire du théâtre et on m’a mis dehors, j’étais trop timide. Je suis pas capable d’apprendre de textes. Donc j’avais des blancs sur scène. Encore aujourd’hui, j’suis pas capable d’apprendre du texte. Cette faiblesse-là est devenue finalement un truc que j’ai développé pour compenser. J’travaille sans texte, parce que je peux pas l’oublier, j’en ai pas ! Non non, j’étais pas destiné à ça du tout. J’étais guide touristique quand j’ai commencé au village…
C’est pas une légende !
FP : - Non, c’est vrai.
Que garderas-tu de plus fort de cette semaine des Nuits de Champagne à Troyes ?
FP : - La rencontre avec toutes ces personnes-là qui chantent. On parle de la musique, de la chanson, des paroles, des mots, des auteurs-compositeurs, mais au-delà de ça, il y a une expérience humaine très très importante. Ce que je vis ici, t’sais, on ne compte pas le nombre de larmes qui se versent-là. Il y a quelque chose qui se vit qui est au-delà de la chanson ; on dirait que cette cohésion-là, cette chose collective-là, donne accès à des choses auxquelles on n’a pas accès normalement, nous rappelle peut-être des choses ?, je sais pas. Après ça, j’admire les gens qui ont créé ce festival-là. Mettre sur pied cette logistique… Rêver à ça, oui, la faire, qu’elle marche et la tenir, c’est de quoi rendre jaloux bien des villes.
Propos recueillis par Thibaut Gobry