Dans sa robe de jeune fille qui semble la maintenir à jamais à cet âge, elle a quelque chose d’une elfe, Mona, sylphide un peu punk, un peu surréaliste. "Allo… je ne t’entends pas… Qui est à l’appareil ? Je n’ai pas compris votre réponse. Who is calling ?"
Sur une scène et dans une salle noires où chacun est devenu invisible à chacun, Mona-Emily a désespérément soif de rejoindre l’autre, par les mots, par le silence, par les gestes. Mais ça ne marche pas, quelque chose ne répond pas… "Une voix m’appelle puis se perd / C’est ta voix / À l’autre bout du monde".
Plus qu’un concert, le public d’Argence a découvert hier soir un spectacle musical, héritant largement de la création théâtrale, "Mona", montée en janvier 2014 par Emily Loizeau. Une scénographie sophistiquée (la place de ce grand miroir fascinant au centre de la scène !), un concert comme un conte au pays de Mona…
"Il y a des choses étranges que je voudrais qu’on m’explique, qui me semblent tragiques, je veux pleurer mais j’en ris" "Tell me why Mona !" Mona passe d’une langue à l’autre, fait face à une jumelle mimétique, qui la mime mais ne lui parle pas, ne la reconnaît pas. Rendue à sa solitude, Mona est le jouet des éléments ; saxo, trompette, guitares, batterie, l’emportent dans une danse déstructurée qui la laisse recroquevillée au sol. "Je voudrais être le fond de l’eau, là où se couchent les bateaux, là où tu caches ta douleur." Puis l’eau monte dans le miroir jusqu’à le submerger totalement et quand Mona se regarde, elle ne voit que les abysses, d’où montent des sons rauques.
L’évocation de ce naufrage psychique est le pendant d’un autre naufrage, physique celui-là, que fit le grand-père de la chanteuse (elle nous le raconte sur scène !), en 1941 pendant la guerre, au large de la Crête. Il écrivait des lettres pleines d’espoir à sa femme, qui était enceinte de… la mère d’Emily. Le grand-père aujourd’hui a 102 ans.
Artiste complète, Emily Loizeau exorcise sa vie, celle de sa mère, de son grand-père. En allégorie de mondes parallèles que peut créer le trouble mental comme la recherche de l’artiste, son spectacle se trouve emporté dans un crescendo rédempteur. Un concert violemment poétique en forme de traversée initiatique.
Thibaut G. -Le Troisième Œil